samedi 26 janvier 2008

Patrick de Carolis - Fin de la publicité

Voici un article publié dans Le Monde suite à l'annonce de suppression de la publicité sur les chaînes publiques. Il s'agit de la réaction de Patrick de Carolis.

" Le président de la République a souhaité engager France Télévisions sur la voie d'un nouveau modèle économique dont la publicité serait absente. Cette annonce a le mérite de la clarté. Je l'ai dit. Je n'y reviendrai pas. Nous devons maintenant nous préparer à cette révolution. Rien ne serait pire, pour l'ensemble du secteur audiovisuel, que, l'effet d'annonce passé, sa mise en œuvre ne vienne s'enliser dans les sables technocratiques. La réflexion doit s'engager sereinement sur les modalités et les conséquences d'une telle réforme au regard de l'équilibre général d'un secteur aussi fragile qu'hyper-réglementé.

Conséquences pour France Télévisions, bien sûr, et en premier lieu pour les 317 salariés de la régie publicitaire du groupe, dont l'ingéniosité et l'efficacité ont toujours fait merveille et qui voient leur activité menacée. Conséquences sur l'ensemble du paysage audiovisuel en général mais aussi sur la création audiovisuelle et les règles qui jusque-là régissaient les rapports entre producteurs et diffuseurs.

La télévision publique appartient à tous les Français. Chacun a son idée sur nos programmes. Chacun a ses goûts, apprécie ou regrette tel ou tel visage du service public. Pour autant, la télévision reste une affaire de professionnels et c'est aux équipes de France Télévisions qu'il revient d'inventer et de mettre à l'antenne les programmes qui correspondent à ses missions.

Aussi, avant d'ouvrir le grand chantier qui s'annonce, il n'est pas inutile de rappeler que les chaînes du groupe font déjà une télévision bien différente de celle de leurs concurrentes privées. Quelle télévision fait aujourd'hui encore une telle place au débat public et aux magazines d'information ? Quelle télévision décide de mettre en images les chefs-d'œuvre de la littérature tout en obtenant des records d'audience ?

Quelle télévision investit près de 400 millions d'euros, chaque année, dans la création française, consacre une véritable place à la chanson française et à la nouvelle scène, offre autant de magazines culturels, dont certains quotidiens et en direct ? Quelle télévision a l'audace de programmer du théâtre le samedi soir en direct, offrant ainsi un fauteuil d'orchestre à huit millions de téléspectateurs ?

Quelle télévision ouvre à son public les portes de la Cité interdite ou du château de Versailles et ferme celles de la télé-réalité ? Si le lecteur distrait n'a pas reconnu la programmation de France Télévisions, il convient de le lui rappeler.

LA MORT DE L'AUDIMAT NE SAURAIT ÊTRE LA FIN DE L'AUDIENCE

Nous pouvons certainement aller plus loin encore; la disparition de la publicité peut devenir un levier efficace pour accélérer et accentuer notre stratégie de différenciation éditoriale. Mais à condition que soient garantis notre indépendance éditoriale, notre périmètre actuel et un financement pérenne et dynamique.

L'excellence culturelle française a un coût, qui est au cœur de toute accélération de notre stratégie éditoriale. Un seul exemple : une "nouvelle" d'une heure de Maupassant coûte 1,2 million d'euros, un épisode d'une série étrangère à succès revient, quant à lui, à 80000 euros. Aujourd'hui, c'est la coexistence de ces différents programmes qui permet à France Télévisions de maîtriser ses budgets.

Car une chose est certaine : il ne peut être question de proposer au téléspectateur de demain la télé d'hier. La France a cessé depuis longtemps de se rêver en noir et blanc et c'est pour cette raison que la télévision publique doit garder les couleurs de la vie. Les Français aiment leur télévision publique. Ils la regardent car ils savent qu'elle ne les a jamais considérés comme de simples cibles commerciales. Ce lien avec les téléspectateurs est essentiel. Il doit être maintenu. Il légitime la notion même de service public. La mort de l'Audimat ne saurait être la fin de l'audience.

Pour préserver ce lien entre le pays et sa télévision publique, il est indispensable de pouvoir continuer à rassembler l'audience la plus large. Le service public doit continuer à pouvoir programmer les grands événements nationaux, patrimoniaux, sportifs ou artistiques qui rythment la vie de notre collectivité. En effet, ces événements populaires forment le ciment qui permet de souder les différentes composantes de notre société, surtout lorsqu'ils contribuent à dessiner l'identité du pays.

Accepter que demain, faute de moyens, la diffusion de ces grands événements nous échappe serait non seulement abdiquer définitivement devant la marchandisation de la société française, mais reviendrait à privatiser des pans entiers de notre vie sociale. Au-delà des intérêts de France Télévisions, c'est l'esprit même du service public qui serait atteint de plein fouet.

France Télévisions doit pouvoir continuer à diffuser de grands événements nationaux mais elle doit aussi continuer à programmer tous les genres : fictions, cinéma, documentaires, programmes jeunesse, magazines, sport, variétés, jeux, divertissements, séries françaises ou étrangères, dès lors qu'aucun de ces programmes ne porte atteinte à l'éthique et à la dignité du service public.

Si un seul de ces genres devait être interdit à France Télévisions, le service public se couperait d'une large partie du public. Rien ne serait pire qu'une télévision publique qui déciderait de ne s'adresser qu'à une petite élite déjà saturée de références et qui abandonnerait le reste des téléspectateurs à la télévision commerciale.

En revanche, ce nouveau modèle économique peut offrir à France Télévisions l'occasion d'amplifier encore sa créativité et favoriser la prise de risques dans ses contenus et à tous les niveaux de sa grille de programmes. Si l'on souhaite que le service public continue à jouer un rôle central, il doit aussi voir son périmètre maintenu. Conserver la pluralité de ses antennes, avec cinq chaînes au positionnement complémentaire, c'est lui permettre de continuer à satisfaire tous les publics.

Le téléspectateur doit avoir le choix entre une diversité de chaînes publiques et une diversité de chaînes privées. C'est là le modèle anglais de la BBC, qui compte huit chaînes. Si demain le téléspectateur devait choisir entre une offre commerciale multiple et un service public confidentiel, il n'aurait aucun véritable choix.

Assurer au service public un financement pérenne, c'est d'abord compenser intégralement, et de façon dynamique, les pertes liées au tarissement de la ressource publicitaire. C'est ensuite financer les programmes qui viendront remplacer les écrans publicitaires. C'est enfin permettre au service public de continuer à conduire une politique de diversification adossée à la qualité et au succès de ses programmes.

L'Etat doit aller jusqu'au bout de sa logique et autoriser France Télévisions à bâtir une vision patrimoniale de ses programmes avec l'ensemble des créateurs. En un mot, l'investissement public dans la création doit permettre de soutenir notre présence sur tous les réseaux, comme c'est le cas de la BBC.

Depuis 2005, parallèlement au virage éditorial engagé, j'ai inscrit le groupe sur le chemin de la réforme pour faire face au bouleversement numérique : huit chantiers ont été ouverts, en décembre, avec le soutien de l'actionnaire. Cette modernisation est plus que jamais nécessaire, non pas pour compenser le manque à gagner publicitaire, mais pour financer le développement du groupe.

Dès à présent, les premières garanties sur le financement et le périmètre du service public ont été données par le gouvernement. Toutes ces garanties doivent maintenant s'inscrire dans la durée. Alors, la suppression de la publicité sur nos antennes, idée ambitieuse, souvent caressée, jamais réalisée, pourra devenir une grande idée. "

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